Des doigts d'or pour un pied d'argile.
La place, à côté de l'atelier de mécanique des frères Espinelly, était souvent réquisitionnée, comme terrain de foot, pour la plus grande joie de certains propriétaires.
Il y avait deux portails de garage à peu près dans l'axe l'un de l'autre.
Les parties commençaient toujours de la même manière et se terminaient aussi toujours de la même manière.
Vlan contre la porte … et vlan contre l'autre porte …
Il ne fallait pas plus de 10 minutes pour voir pointer des mines hostiles à notre présence, afin de nous faire déguerpir en prétextant que les gens dorment ou se reposent et d'aller jouer ailleurs.
Eh oui dans notre midi on fait la sieste, même à 10 heures du matin !!!
Mais c'était plus par le fait qu'à force de taper dessus avec le ballon, les portes de grandes tailles prenaient du jeu sur leurs gongs.
Comme les casseurs n'étaient pas les payeurs alors on préférait chasser les intrus.
Alors si on nous faisait partir d'un endroit, on allait automatiquement à un autre et vice versa.
Au bas des écoles il y avait un champ à peu près plat, communément appelé l'Aire, où se trouvait la remise appartenant à M. et Mme Milleto Casimir. C'était un peu notre terrain de sport, là, nous pouvions taper dans le ballon sans nous faire houspiller (rouspéter).
S'il pouvait parler il vous dirait qu'il en a vu des parties et des parties se jouer et je dois dire qu'une fois ce n'est pas le ballon qui a reçu mon coup de pied mais une grosse pierre enfoncée dans le sol et qui me l'a rendu.
Je m'étais fait une entorse à la cheville avec pour résultat : celle-ci est vite devenue énorme et douloureuse au toucher. Après être rentré chez moi, tant bien que mal avec l'aide de Vincent, j'ai eu droit au bain d'eau salé et massage avec une pommade. La douleur ne se maîtrisait pas, cela me donnait mal à la tête, des sensations de chaleur et des envies de vomir.
On nous a conseillé d'aller voir M. Usseglio Alexandre, dit "Cendrin", il faisait, grâce à ses dons, office de rebouteux.
Il habitait, au centre du village, rue des Écoles.
Il avait travaillé en son temps à la mine.
Après être monté chez lui, par un petit escalier, je lui faisais part de ma souffrance : Il m'a fait asseoir, remonter le bas de mon pantalon et il passa ses mains sur ma cheville endolorie et sur mon pied. Sa femme, Juliette, était restée là comme pour me rassurer devant les gestes étranges de son mari.
J'avais une impression de chaleur en sentant ses doigts et ses mains qui glissaient, qui frottaient et qui pétrissaient ma peau mais sans en ressentir de douleur et aussi une sensation de froid, étonnant !
Au fur et à mesure que le temps passait cette impression de température avait l'air de s'estomper, je ne sentais plus ses doigts et ses mains. Il me regarda dans les yeux avec un sourire énigmatique comme pour m'expliquer qu'il ne voyait rien de plus à faire et en me faisant comprendre qu'il avait fini et que je pouvais me mettre debout.
Tout cela sans dire un mot !
J'avais une appréhension et en posant le pied comme pour me rassurer ...
Je me disais que j'avais mal et le mal ne venait pas, où était-il ?
Il avait, sans radiographies ni scanner, sans pommade, uniquement avec ses seules mains, effectué à sa façon, une opération banale ...
Remettre en place d'une façon naturelle ce que la nature en avait décidé autrement !
Je me rappelle encore de ce jour où je suis allé, un midi, déranger une famille pour me faire remettre en place une cheville.
Dans cette maison la vie s'est arrêtée pour s'occuper uniquement de moi de plus j'y ai trouvé un réconfort, une aide et une amitié.
C'est pour moi la définition de rendre service.
Merci à cette famille de m'avoir donné tout cela !
... // ...
Jean-Pierre Rimbaud
Des doigts d'or pour un pied d'argile.