Sigonce ... Il y a 60 ans.
La tragédie des Roux endeuillait notre village.
Le 8 juillet
1944, de très bonne heure, les allemands ont pratiquement encerclé
Sigonce. À 07h30, trois colonnes ennemies représentant environ 200 hommes (allemands et miliciens), et arrivant de trois endroits différents,
une qui remonte le ravin du Buès, l’autre arrivant de Pisay et Pré-Giraud et la dernière par La Blache et les ruines de Sigoyers ont investi
"la ferme des Roux".
Le détachement qui est passé par Sigonce a été quelque peu retardé par l’interpellation de Léopold Sube, dit "Paul", Robert Théric qui logeait chez le boulanger, Paul Audibert qui se rendait à son écurie de la Bambou et les frères Julien et Victor Espinelly qui se rendaient de bon matin à leur garage de mécanique générale qui se tenait alors place du village.
Ils ont été rassemblés devant l’ancienne remise Alpin (aujourd’hui maison Alex Serrano). Les allemands pensaient que M. Léopold Sube, (boulanger du village à l’époque), alimentait le maquis en pain. Ils se sont donc rendus chez lui pour l’intercepter. Notre boulanger, qui ne s’attendait pas à cette visite, a ouvert spontanément sa porte. Quelle ne fut pas sa surprise de se trouver face à ces militaires qui n’avaient pas trop le sourire.
Il fut prié de les suivre. N’ayant pas de veste il leur dit
: "je vais chercher ma veste !". L’officier lui répond : dans un moment vous aurez chaud et vous n’en aurez plus besoin. Comment fallait-il interpréter ces paroles ? M. Sube, qui devient sûrement et subitement méfiant et très
pessimiste insiste pour aller chercher une veste et il y va. Il se dirige donc vers le four, passe par la gloriette, traverse le jardin attenant, traverse la rue de
l’Aviasse ainsi que le jardin de Gaspard Granier et celui de Élie Blanc (tous deux appartenant aujourd’hui à M. Alain
Romus) pour aller se cacher derrière des touffes d’orties et d’asperges assez hautes en cette période estivale.
Ne le voyant pas revenir, les allemands ont pensé qu’il s’était enfui et sont partis à sa recherche par la même voie. Arrivés sur le chemin de
l’Aviasse, M. Sube s’avère introuvable. Ayant vu la scène ce sont d’autres allemands, postés au-dessus de l’ancienne mine, qui localisent rapidement le fuyard. Très en colère d’avoir été bernés ils remercient M. Sube par une belle paire de gifles qui lui font voler ses lunettes assez loin dans la végétation environnante. Il est ramené sur la place
afin de rejoindre le groupe devant la remise Alpin.
Lui seul est finalement retenu et prié de se joindre aux militaires qui vont se diriger vers les
Roux.
Quand le détachement de Sigonce est reparti vers la ferme, celui venant de Cruis avait déjà encerclé le camp côté nord-est.
Le camp des maquisards était situé en pleine colline à environ 5 km de Sigonce.
Irène Emblard, 45 ans a été abattue d’une rafale de mitrailleuse alors qu’elle revenait à la ferme avec ses vaches.
Saïd Ali, 34 ans, qui avait la surveillance du dépôt d’armes et de munitions du camp s’est dirigé vers le puits distant d’une centaine de mètres de la ferme. S’étant sûrement aperçu de la présence toute proche des allemands, il ne veut pas crier, mais étant musulman il cherche un moyen pour avertir ses camarades du danger. Il fait donc un simulacre de prière en levant les bras au ciel puis en les rabaissant à plusieurs reprises. Pendant ce rituel, il ne se rend pas compte que l’ennemi s’est rapproché sournoisement et il se fait tuer par surprise d'un coup de baïonnette au ventre.
Worajeick Nowak, 48 ans, fut abattu à 150 m des habitations au pied d'une gerbière alors qu’il essayait de s’enfuir vers Aris.
Lucien Georges, 20 ans, a été abattu d'une balle en plein front tout près de la mitrailleuse.
Les assaillants avaient déployé un dispositif vraiment imposant.
Le jeune Emblard, qui n’a que 13 ans, s’emploie avec force à envoyer vers l’ennemi des bombes Gamon qui servaient plutôt à faire sauter des ponts,
des camions, des blindés, etc. ... inefficaces pour l'heure mais qui tenaient en respect les allemands.
Jusqu’au dernier moment, Lucien Georges qui avait juché une mitrailleuse sur le tas de fumier, situé devant la ferme, tenait tête à l’ennemi. La
mitrailleuse sera alimentée ensuite par le jeune Jeannot Emblard qui ne voulait pas rester inactif après s’être débarrassé de ses bombes. Se retrouvant finalement
seul après que Lucien Georges ait été abattu, notre jeune héros réagit à nouveau en voulant faire sauter le dépôt de munitions mais il est capturé par les nazis qui n’en croient pas leurs yeux en voyant la jeunesse du résistant.
L’héroïsme du jeune Emblard et le simulacre de prière de Saïd Ali qui avait été vu de loin par Gaby Molinari a permis aux 4 maquisards qui se trouvaient là : Bertin Bernier, Bayard de la Motte du Caire, Garro dit "l’Inquiet" de la Drôme,
conduits par Gaby Molinari le monégasque de s’échapper grâce à la traction de service
(véhicule automobile) qui n’était autre que celle de M.
Émile Boursier directeur de l’usine à chaux.
Ces quatre maquisards qui se sont enfuis sous une pluie de balles réussissent à aller jusqu’à la rivière du Lauzon malgré un réservoir d'essence percé. Cette panne leur a été bénéfique car elle leur a permis de ne pas rencontrer le détachement allemand qui arrivait de Sigonce et qui empruntait ce même et unique chemin carrossable du secteur. Ce jour là, la chance était tout de même avec eux. Là, ils abandonnent le véhicule et se dispersent dans les bois environnants. Seul Bertin Bernier a été blessé à l’épaule. Il réussit, à revenir à travers bois vers le village où il rencontre Jean (Jeannot) Caciagli qui travaillait ce jour là à l’extérieur de la mine vers le nouveau remblai de la Charité, (propriété Adrien Blanc, aujourd’hui Didier Caron), juste au-dessus de l’actuel lotissement route de Lurs.
Jean Caciagli va chercher M. Alfred Piozin, le chef comptable de la mine qui faisait si nécessaire piqûres et pansements. Il soigne Bertin Bernier dans la galerie
24 de la mine qui débouche dans le torrent de Barlière au pied du Grand Jardin (propriété
communale).
Jeannot Emblard fut donc fait prisonnier et le jeune adolescent fut remis par les autorités allemandes au maire de la commune : M. Oblé Maurel.
Auparavant, les allemands ont montré à Jeannot Emblard ainsi qu’à Léopold Sube une photo sur laquelle figuraient plusieurs résistants photographiés devant la ferme des
Roux. Ils leur demandèrent d’identifier ces personnes, à savoir : Molinari Gabriel, Caciagli Jeannot, Julien Georges, un nommé Maurice, Bertin Bernier, Saïd Ben
Saïd.
Bien que les ayant tous reconnus, tous deux affirmèrent sans hésiter qu’ils ne les connaissaient pas.
Comment les allemands étaient-ils entrés en possession de cette photo prise peu de temps avant à la ferme ?
Avant de quitter les lieux, et pour marquer leur passage, les allemands ont dynamité la ferme.
Jeannot fréquentait l’école de Sigonce et son instituteur n’était autre que M. Marcel
André, alias "Antoine", responsable civil et militaire du CDL (Comité Départemental de
Libération), adjoint de Martin Bret.
Marcel André fut aussi arrêté,
à Oraison, et fusillé à Signes le 18 juillet 1944.
En 1945, Jeannot fut décoré à 14 ans de la croix de guerre et de la médaille militaire avec étoile de bronze. Il devenait ainsi le plus jeune médaillé de France et de la résistance.
En ce 65ème anniversaire de "la tragédie des Roux" du 8 juillet 1944, nous avons une pensée émue pour ces soldats de l’ombre qui ont sacrifié leur vie pour lutter contre l’envahisseur et pour défendre leur patrie afin que les générations suivantes puissent vivre libres.
Notre pensée va aussi vers Jeannot Emblard qui lui aussi lutta jusqu’au bout malgré son jeune âge, comme un vrai résistant.
Il nous a quittés voilà 10 ans le 4 mai 1999.
Nous devons une bonne partie de ces vérités et de leur exactitude à :
M. Jean Caciagli qui fut agent de liaison au sein du maquis de Sigonce et de celui des Roux en particulier.
M. Georges Sube qui était le frère de M. Léopold Sube notre ancien boulanger.
Ne soyez pas étonnés de voir 2 orthographes pour
: Les Roux.
Les Roux est sûrement la bonne orthographe mais les provençaux prononcent plus facilement
"Les Rousses" en y mettant une pointe d'accent.
Cérémonie du 8 juin 2004 à Sigonce à la mémoire des fusillés du 8 juin1944.
Avec la présence :
Des personnalités de Forcalquier.
Des porte-drapeaux de toutes les associations d'anciens combattants de Forcalquier.
Sur le monument aux morts.
Sur la stèle de droite l'on peut lire :
Il y a 50 ans, le 8 juillet 1944, les troupes allemandes ont pris d'assaut la ferme "LES ROUX" où la famille EMBLARD hébergeait des résistants.
Malgré une résistance héroïque submergés par le nombre, tous les maquisards ont été abattus, seul le fils EMBLARD âgé de 13 ans a été épargné.
Il mourait parmi ceux avec qui il aurait voulu vivre, il mourait comme chacun de ces hommes couchés, pour avoir donné un sens à sa vie. Qu'eût valu une vie pour laquelle il n'eût pas accepté de mourir? Il est facile de mourir quand on ne meurt pas seul.
André MALRAUX
(André Malraux : homme politique français, 1901/1976).
Émile Portigliatti
La tragédie des Roux endeuillait notre village.
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